Les témoignages de professionnels de la RSE issus de divers secteurs révèlent des tendances communes dans l’évolution de cette discipline. Des géants de l’industrie aux agences spécialisées, les responsables du développement durable passent d’une approche réactive de conformité à une intégration stratégique proactive. Leurs analyses éclairent les orientations futures du domaine et les compétences clés qui assureront la réussite dans les années à venir.
Renforcer l’engagement interne grâce à une communication stratégique
La communication, socle du changement, demeure la compétence la plus essentielle pour les professionnels de la RSE. Si chaque partie prenante nécessite un discours adapté, le défi majeur reste constant : rendre le développement durable concret et pertinent dans les opérations quotidiennes.
Maude Rougier, responsable du développement durable chez Deimos Group, souligne cette approche double : « Le développement durable doit être un projet collectif, et non la responsabilité d’un seul service. » Son équipe a su transformer le scepticisme initial en combinant des projets structurants avec des actions concrètes et visibles, comme des fontaines à eau affichant leur impact en temps réel. Cela illustre comment des initiatives tangibles et mesurables créent un élan en faveur de changements stratégiques plus importants.
Erik Sørensen, Responsable Développement Durable et Partenariats Globaux chez Modulex Group, a systématisé cette approche grâce à des sessions de formation trimestrielles et divers formats de communication.
Cette approche structurée fait passer la RSE d’une responsabilité sectorielle à une compétence intégrée à l’ensemble de l’entreprise.
Les leaders en RSE les plus efficaces adaptent leurs formats de communication aux parties prenantes occupées. Comme le soulignent les praticiens : privilégiez des vidéos courtes et accessibles plutôt que de longs e-mails, et reliez toujours les actions à des objectifs globaux qui résonnent auprès de chaque audience.
Du reporting à l’intégration stratégique
Le consensus parmi les praticiens est net : il faut privilégier la mise en œuvre en 2025 plutôt que de multiplier indéfiniment les cadres de reporting. Gus Bartholomew de Leafr exprime parfaitement ce changement :
Les responsables du développement durable doivent privilégier la mise en œuvre plutôt que le reporting, en se concentrant sur l’exécution des leviers de décarbonation et de transition à fort impact, au lieu de se perdre dans des divulgations interminables, des cadres normatifs et des spectacles ESG.
Cette transition implique d’intégrer les enjeux de la RSE au cœur des décisions stratégiques de l’entreprise. Irina Bolgari, responsable du développement durable chez La Prairie Suisse, explique :
Drishti Masand, Senior Manager à la Direction Développement Durable d’adidas AG, défend cette approche par l’intégration de l’économie circulaire :
Cela implique d’orienter la conception des produits, la chaîne d’approvisionnement, la finance et le marketing selon des principes d’économie circulaire, plutôt que de les traiter comme des initiatives secondaires.
Approches collaboratives et partenariats externes
Les initiatives de développement durable les plus abouties s’appuient sur l’expertise externe et la collaboration sectorielle, plutôt que de chercher à développer toutes les compétences en interne. Cette démarche reconnaît la complexité des enjeux actuels en matière de RSE tout en optimisant les ressources internes.
Gus Bartholomew plaide en faveur de cette approche stratégique :
Le changement de mentalité qui consiste à passer d’une gestion intégrale en interne à l’appui d’experts externes à la demande. Plutôt que de chercher à maîtriser en interne chaque nouvelle réglementation, méthodologie ou demande des parties prenantes, nous avons adopté l’idée qu’une petite équipe interne stratégique peut générer bien plus d’impact lorsqu’elle est soutenue par des consultants flexibles et hautement spécialisés.
Le travail de Drishti Masand au sein du consortium Closing the Footwear Loop illustre la force de la collaboration sectorielle. Cette initiative a réuni plus de 15 marques internationales, y compris des concurrents directs, autour d’objectifs communs de circularité pour les chaussures. « La RSE est un sport collectif, et le progrès exige une collaboration pré-compétitive », souligne-t-elle.
Cette approche collaborative s’étend également aux relations avec les fournisseurs. Elena Ricciuti, spécialiste du développement durable chez Holding Moda, a intégré la RSE dans leur processus de fusion-acquisition et de gestion des fournisseurs : « Nous visitons régulièrement nos fournisseurs et les évaluons afin de vérifier leur conformité avec nos critères. » Leur système de classification en trois niveaux — fournisseurs conformes, nécessitant des améliorations, et non conformes — ouvre des pistes claires pour la transformation de la chaîne de valeur.
Gestion carbone avancée et stratégie de données
La gestion CO₂ évolue, passant d’une simple comptabilité à une intelligence stratégique qui guide la prise de décision. Les praticiens les plus avancés vont au-delà du calcul des émissions pour élaborer des architectures de données intégrées, au service de la stratégie d’entreprise.
Giovanni Migliore, Senior Manager ESG et Développement Durable chez Flix, illustre cette évolution à travers leur programme de transformation de flotte.
En 2024, nous avons mis en place une méthode plus fiable pour comptabiliser les émissions liées aux motorisations alternatives, en collectant les données régionales et les certificats disponibles.
Cette analyse apporte une valeur stratégique en estimant la trajectoire de décarbonation, en quantifiant les émissions évitées et en mettant en lumière l’amélioration progressive de la qualité des données.
Les bonnes pratiques issues de la communauté des praticiens incluent :
- Construire une architecture claire des données carbone avec une responsabilité définie et des saisies automatisées, plutôt que de collecter des tableaux Excel.
- Appliquer des méthodologies à la fois cohérentes et flexibles, conciliant rigueur et pragmatisme à mesure que la maturité des données progresse.
- Utiliser les données de référence pour orienter les décisions stratégiques en cartographiant les points chauds d’émissions et leurs leviers opérationnels
- Développer des portefeuilles de décarbonation qui privilégient des actions à fort impact, réalisables et à retour sur investissement tangible
Irina Bolgari souligne l’enjeu stratégique :
La comptabilité carbone doit conduire à la réduction : demandez-vous toujours quelles données sont nécessaires pour nourrir vos scénarios de réduction. Ne faites pas de reporting juste pour le reporting.
Transformation des chaînes d’approvisionnement et leadership sectoriel
La décarbonation de la chaîne d'approvisionnement apparaît comme le levier à fort impact pour la plupart des organisations, les praticiens prônant une démarche proactive plutôt que l’attente des exigences réglementaires. Cette approche permet aux entreprises de gagner en avantage concurrentiel tout en renforçant la résilience de leurs opérations.
Lena Engel, Directrice Développement Durable chez TÜV Rheinland Consulting, exprime cette priorité :
La majorité des émissions des entreprises proviennent de leurs chaînes d’approvisionnement, en particulier du Scope 3, qui peut représenter jusqu’à 75 % de leur empreinte carbone globale. Les entreprises qui s’attaquent de manière proactive aux émissions liées à leur chaîne d’approvisionnement gagneront un avantage concurrentiel.
Cette approche nécessite des stratégies avancées d’engagement des fournisseurs, qui dépassent la simple surveillance de la conformité. Erik Sørensen, du groupe Modulex, a élaboré « une checklist détaillée pour les équipes achats, comportant huit à neuf points clés, leur permettant d’évaluer les matériaux de façon qualitative et quantitative ». Ce système prend en compte des facteurs au-delà des émissions, en analysant chaque facette de l’impact environnemental d’un produit.
Christoph Bock, expert senior ESG et développement organisationnel chez RTLZWEI, illustre l’innovation propre à leur secteur grâce aux standards Green Motion pour la production TV et streaming.
Ils regroupent 22 critères, parmi lesquels la consommation d’électricité verte, la technologie LED à faible consommation, le tri des déchets, ainsi que la participation d’un Green Consultant formé tout au long de la production.
Cette approche systématique génère un impact mesurable tout en transformant les pratiques sectorielles.
Résilience future grâce à une RSE agile
Les professionnels du développement durable les plus performants adoptent des méthodologies agiles qui permettent une adaptation rapide aux évolutions réglementaires, aux conditions du marché et aux attentes des parties prenantes. Cette démarche privilégie le progrès à la perfection tout en développant des compétences systématiques.
Drishti Masand défend cette mentalité :
J’adopte une approche axée sur le « progrès plutôt que la perfection ». Dans le domaine de la durabilité, il y a toujours la tentation d’attendre la solution idéale, mais si nous attendons la perfection, nous risquons de freiner l’élan dont nous avons urgemment besoin.
Morvan Le Boulanger, Responsable Développement Durable chez Olala Homes, applique une méthodologie agile formalisée :
L’état d’esprit Agile est essentiel : il progresse par itérations, valorise les petites victoires et s’adapte en permanence.
Cette flexibilité encadrée a permis à son équipe de gérer plus de 30 projets transfrontaliers tout en assurant la cohérence de la stratégie RSE à l’échelle mondiale.
Cette approche agile s’avère indispensable pour naviguer dans l’incertitude réglementaire. Giovanni Migliore souligne : « Le principal enjeu est l’incertitude qui entoure le paysage réglementaire en matière de développement durable, ce qui complique la définition de plans à long terme pour les responsables RSE. » Des stratégies flexibles, capables de s’adapter aux exigences évolutives, deviennent de véritables leviers compétitifs.
Pour les entreprises souhaitant développer cette capacité d’adaptation, les services experts de Plan A offrent un soutien externe qui permet aux équipes internes de rester agiles tout en bénéficiant d’une expertise technique pointue à la demande.
Construire l’organisation RSE de demain
Les retours des praticiens révèlent une fonction développement durable qui a mûri bien au-delà de ses origines purement conformistes pour devenir une compétence stratégique favorisant la résilience de l’entreprise et son avantage concurrentiel. La réussite repose sur l’alliance de l’expertise technique et de la conduite du changement organisationnel, de la collaboration externe et de l’intégration interne, ainsi que de la réflexion stratégique et de l’exécution opérationnelle.
Comme le conclut Dany Leroux, responsable du développement durable chez L'Oréal Italia :
Cet alignement entre les capacités internes et les engagements externes marque la prochaine étape de la RSE.
L’avenir appartient aux organisations capables d’intégrer la réflexion en matière de développement durable dans l’ensemble de leurs activités, tout en conservant l’agilité nécessaire pour s’adapter à des attentes en constante évolution. Ces acteurs démontrent que cette transformation est à la fois réalisable et rentable lorsqu’elle est menée avec rigueur stratégique et esprit collaboratif.
